Les secrets partagés de l’orthophoniste-parent
Article pour SOS prof rédigé par Nicole Carty orthophoniste
Février 2025
Le poids des inquiétudes
Quand les parents me voient en interaction avec leur enfant, ils peuvent bien se dire que je serais le parent idéal pour mes propres enfants! Ils peuvent envier la patience et la disponibilité que je mets en évidence pour accompagner leur enfant dans son développement du langage. Mais, dans ce cas, ce qu’ils oublient, c’est que j’ai une objectivité qu’ils ne peuvent pas avoir en tant que parents de leur propre enfant.
En effet, quand on est parent, on porte le poids des inquiétudes par rapport au développement de notre enfant. Cela a une influence sur notre façon d’être avec notre enfant. On aperçoit alors la différence entre ses performances et ce qu’il « devrait » être capable de faire, à son âge… On se soucie également de la qualité de son développement : va-t-il pouvoir rattraper ses pairs? Est-ce qu’il va s’en sortir avec les exigences de l’école? Socialement, comment ça va se passer avec ses amis? Enfin, on se soucie de l’atteinte de l’objectif final : va-t-il y arriver, en tant qu’adulte? Toutes ces inquiétudes pèsent sur les parents. La distance entre la performance et l’objectif final engendre du stress et, parfois, de l’impatience.
Quand on est orthophoniste, avec l’enfant d’un autre, on ne porte pas le poids de toutes ces inquiétudes parentales. On a toute la latitude d’observer l’enfant dans ce qu’il est en train d’essayer d’apprendre. Notre rôle, objectivement, est de lui offrir l’échafaudage adéquat pour lui permettre de parfaire ce bout de chemin là, afin de faciliter la poursuite de son développement. C’est ce que l’éminent psychologue Vygotsky a nommé la « zone proximale de développement ». C’est l’aspect précis du développement de l’enfant qui, avec un petit coup de pouce bien placé de l’adulte, devient acquis.
Par contre, quand on est orthophoniste-parent avec notre propre enfant à défis particuliers, on porte ces mêmes inquiétudes parentales plus proches de notre cœur que nos capacités professionnelles d’orthophonistes!
L’orthophoniste-parent, avant tout un parent
Alors, est-ce que les orthophonistes font de meilleurs parents que les parents non orthophonistes?! Je ne le pense pas. Pas avec le poids habituel des inquiétudes parentales et encore moins lorsque l’orthophoniste-parent a un enfant présentant un trouble du développement.
Toutefois, il se peut que les orthophonistes-parents aient quelques avantages, que je vais nommer, pour partager avec les parents non orthophonistes, dans le but de leur offrir les mêmes avantages.
En effet, l’orthophoniste-parent sait que c’est important de soutenir son enfant dans le développement de ce qu’il est activement en train faire, afin qu’il puisse l’ancrer et poursuivre d’autres développements. Autrement dit, on ne « regarde » pas ce que l’enfant devrait faire mais ce qu’il est en train de faire et on essaie de voir comment le faciliter. Dans cette espace, il n’est pas question de patience, même si ça en a tout l’air. On peut développer une fascination pour ces moments où l’enfant concrétise ses apprentissages et rebondit sur d’autres apprentissages.
Bref! En « regardant » là où est l’enfant, pour mieux le soutenir, on évite le regard frustrant de là où on voudrait qu’il soit. Et, les apprentissages que fait l’enfant lui appartiennent car ce sont ses apprentissages, au bon moment et au bon endroit où il est prêt à les faire. C’est gratifiant.
Un bémol, cependant. Même si l’orthophoniste-parent est conscient de cet aspect d’accompagnement du développement versus la frustration du but à atteindre, le côté parent reste fort: l’orthophoniste-parent est avant tout un parent et elle a du mal à taire les inquiétudes habituelles de parent. Mais, elle essaie.
Plusieurs choses à cultiver dans la vie quotidienne
En plus de soutenir le développement actuel de son enfant, pour assurer son développement continu, l’orthophoniste-parent est au courant de plusieurs choses importantes au niveau du développement du langage et de la communication et qui sont pratiques à cultiver dans la vie quotidienne. Je vous les partage ci-dessous:
- Parler sa langue d’origine, si on est bilingue;
- Parler à son enfant et l’encourager à vocaliser, babiller, jargonner puis converser le plus possible : la parole ça s’entraîne pendant des heures et des années!
- Ne pas forcer son enfant à dire un mot pour obtenir quelque chose – c’est ultra frustrant!
- Ne pas le forcer à se répéter pour corriger la prononciation d’un mot – ça aussi c’est ultra frustrant!
- Profiter des enfants des autres : inviter les petits amis à jouer, le plus souvent possible, pour qu’il s’entraine et qu’il puisse profiter de bons modèles verbaux à son niveau;
- Faire silence pour accorder à son enfant toute l’attention, et le temps dont il a besoin, pour s’exprimer;
- Reformuler, pour lui, les bons modèles verbaux plutôt que de le corriger : reformuler et donner le bon modèle assure l’écoute de son enfant, alors que corriger déraille son attention et le frustre….. et ne fonctionne pas!
- Accompagner les devoirs pour soutenir et consolider les apprentissages, et pour donner le bon modèle de stratégies de lecture, de compréhension, de rédaction et d’études efficaces;
- Éviter les écrans. Favoriser plutôt la créativité et l’attention dans des activités adaptées à l’âge (i.e. jeux libres avec figurines, les fameux blocs de construction, le dessin, la rédaction d’histoires, etc.) et inviter, encore une fois, les amis à venir jouer;
- Encourager l’écoute de livres audios car cela stimule, à peu près, les mêmes zones du cerveau que lorsqu’on lit pour soi!
- Maintenir, le plus possible, la priorité d’une routine de lecture quotidienne d’histoires où c’est l’adulte qui lit et partage questions et commentaires avec son enfant;
- Lire des livres de genres variés pour proposer un vocabulaire, des connaissances et des types de textes variés;
- Continuer à lire à son enfant même lorsqu’il est en âge d’apprendre à lire, même lorsqu’il sait déjà lire et même lorsqu’il serait censé lire pour lui-même. Justement, pour enrichir ses expériences de lecture et faciliter la poursuite de ses apprentissages;
- Chercher, jusqu’à trouver, enfin, un livre que son enfant a envie de dévorer, tout seul!
- Chercher, encore, d’autres livres qui motiveront la poursuite de cet élan de lecture. C’est toute une entreprise!
- Lire pour son enfant, lorsqu’il n’est pas motivé à lire pour lui-même.
https://soinsdenosenfants.cps.ca/handouts/behavior-and-development
Le parent-orthophoniste essaie, comme vous!
Et, surtout, n’imaginez pas que je me suis assise, patiemment, avec mes enfants, à jouer à des jeux de figurines, de loto, de bingo, de domino, etc. Pas du tout! Je faisais « l’orthophonie de la vie quotidienne » en leur laissant le temps de parole; en reformulant, en modèle, leurs productions langagières; en leur laissant le temps pour jouer librement, en sécurité; en invitant, souvent, leurs amis à jouer; en les accompagnant, bon gré mal gré, dans leurs devoirs; en privilégiant, coûte que coûte (dans la limite du raisonnable!), les moments de lecture avec eux; et, en m’engageant fidèlement dans l’entreprise de les fournir sans cesse en livres qu’ils ne pouvaient s’empêcher de dévorer.
https://www.enfant-encyclopedie.com/education
Voilà! J’ai partagé, avec vous, les secrets de l’orthophoniste-parent. Nous ne sommes pas des super-parents, mais, bien informés, on fait ce qu’on peut!