Le langage
Par Nicole Carty, orthophoniste
Récemment, il y a eu un changement dans les recommandations de l’académie des pédiatres américaine (AAP) concernant le temps d’écrans pour les individus de 0 à 18 ans.
Les recommandations de l’AAP incluent :
- Pas d’écrans du tout chez les enfants de moins de 18 mois.
- Pas plus qu’une heure par jour pour les enfants entre 2 à 5 ans.
- Moins de deux heures par jour pour les individus de 5 à 18 ans.
Et, ces recommandations pourraient encore changer, en fonction des résultats de recherches futures qui indiquent que les écrans ne fournissent pas aux cerveaux humains ce dont ils ont besoin pour développer la communication et le langage.
Avant même que les écrans ne fassent leur apparition entre les mains des tout-petits, les érudits de la linguistique dans le domaine de l’acquisition du langage l’avaient déjà confirmé : l’acquisition du langage et de la communication se passe dans l’interaction humaine. Il est évident, pour les linguistes, que les écrans n’offrent pas un contexte propice au développement du langage.
Ces informations n’en datent pas d’hier. Kuhl (2011) en fait la démonstration dans ses recherches : les bébés ont besoin du contexte social pour activer l’acquisition du langage dans leurs cerveaux.
Tous les parents se posent des questions sur la place des écrans dans le développement du langage. Intuitivement, les parents se doutent bien qu’une trop grande utilisation des écrans n’est pas nécessairement positive pour le développement de leurs enfants. Mais, avec tous les produits numériques étiquetés « éducatifs », il est difficile d’y voir clair.
Qu’on se le dise : la télé « éducative » n’existe pas puisque les enfants n’apprennent pas le langage devant un écran. Le concept de télé « éducative » est un non-sens. Selon Tremblay (2020), lorsqu’il s’agit d’une chaîne « spécialisée » pour les enfants, il y a même un impact négatif sur le développement de la compréhension verbale. De plus, le développement de deux aspects essentiels au développement de la communication, soit le contact visuel et le tour de parole, est inversement proportionnel au temps que l’enfant passe devant l’écran. Enfin, la capacité à comprendre l’ironie, une habileté foncièrement humaine, est moins bien développée en fonction du temps passé devant l’écran.
Zimmerman, Christakis et Meltzoff (2007) déterminent qu’en bas de 2 ans, chaque heure passée devant l’écran est associée à une baisse des performances sur une échelle de développement pédiatrique, en particulier dans le domaine du développement du langage. Selon Chonchaiya et Pruksananonda (2008), il y a un lien entre l’utilisation précoce des écrans et les retards de langage.
Selon Tamana et al. (2019), au-delà de deux heures de visionnement par jour l’on note un impact significatif sur le développement des symptômes d’un profil de trouble déficitaire de l’attention. En effet, Collet (2020) précise que le visionnement des écrans, le matin avant la garderie ou l’école, épuise l’attention et rend les enfants moins aptes aux apprentissages. Selon les résultats de son étude, es enfants exposés aux écrans le matin étaient trois fois plus à risque de présenter un trouble du développement du langage.
Selon Madigan et al. (2019), l’utilisation des écrans dans les 5 premières années de vie peuvent empêcher un développement optimal chez l’enfant. Le temps passé devant les écrans les prive d’opportunités pour exercer leurs capacités motrices, communicationnelles et interpersonnelles.
D’après Pagani et al. (2013), le temps total passé devant les écrans à l’âge de 29 mois est associé à de faibles performances à la maternelle en vocabulaire, en mathématiques, dans l’investissement des activités de classe (en lien avec les capacités attentionnelles). Le temps d’écran est également associé à une plus grande proportion d’intimidation par les pairs (en lien avec les capacités interpersonnelles) et de faibles performances physiques.
En réalité, le temps passé devant l’écran prive l’enfant de temps de jeu (c.-à-d. développement de l’intelligence) et de temps de communication (c.-à-d. développement du langage). Aussi, l’écran ne permet pas le développement des capacités d’autorégulation nécessaires lors des interactions humaines. Enfin, le temps d’écran prive l’enfant d’occasion de développer ses capacités frontales nécessaires pour la gestion de son comportement et son attention à l’école (c.-à-d. mémoire, attention, etc.).
Desmurget (2012, 2019) va encore plus loin; selon lui, il s’agit d’un problème de santé publique dans la mesure où les recherches démontrent que les écrans sont nocifs pour le développement du langage, du sommeil et de l’attention. En effet, les écrans affectent la qualité du sommeil, la quantité et la qualité des interactions sociales, la qualité du développement du monde imaginaire et la capacité à maintenir son attention sur les interactions verbales (Desmurget, 2012, 2019).
Le langage est notre premier outil d’interaction sociale, à nous, les êtres humains. C’est notre première façon d’entrer en communication avec autrui, de se défendre, de se faire comprendre, dans nos besoins, envies et opinions. Nous passons nos journées à raconter : raconter comment s’est passé le trajet, ce qui nous est arrivé, ce que l’on planifie, comment s’est passé le travail, comment ça se passe avec le conjoint, etc. Sans compter que le langage est un outil incontournable pour l’école et le travail. Il est grand temps d’informer les parents de la réalité des écrans sur le développement de leurs enfants.
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Pour en savoir plus et mieux vous outiller :
Références:
- Chonchiya, W. & Pruksananonda, C. (2008). Television viewing associates with delayed language development. PubMed. Jul;97(7):977-82. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18460044
- Collet, M. (2020). Les écrans tôt le matin peuvent entraîner des troubles du langage. La Presse. https://www.lapresse.ca/societe/famille/202001/14/01-5256763-les-ecrans-tot-le-matin-peuvent-entrainer-des-troubles-du-langage.php
- Desmurget, M. (2012). TV Lobotomie : La Vérité scientifique sur les effets de la télévision. Max Milo Éditions.
- Desmurget, M. (2019). La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants. Éditions du Seuil.
- Kuhl, P. (2011). The linguistic genius of babies. Ted Talks. https://www.ted.com/speakers/patricia_kuhl
- Madigan, S., Browne, D., Racine, N., Mori, C., Tough, S. (2019). Association Between Screen Time and Children’s Performance on a Developmental Screening Test. JAMA Pediat.;173(3):244-250. https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/2722666
- Pagani, L.s., Fitzpatrick, C., Barnette, T.A. (2013). Early childhood television viewing and kindergarten entry readiness. PubMed. Sep;74(3):350-5. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23788060
- Sukhpreet, K.T., Ezeugwu, V., Chikuma, J., et al. (2019). Screen-time is associated with inattention problems in preschoolers: Results from the CHILD birth cohort study. April https://journals.plos.org.
- Tamana SK, Ezeugwu V, Chikuma J, Lefebvre DL, Azad MB, Moraes TJ, et al. (2019). Screen-time is associated with inattention problems in preschoolers: Results from the CHILD birth cohort study. PLoS ONE 14(4): e0213995. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0213995
- Tremblay, T. (2020). La télé éducative ne favorise pas le développement du langage. La Presse. https://www.lapresse.ca/societe/famille/202001/05/01-5255761-la-tele-educative-ne-favorise-pas-le-developpement-du-langage.php
- Zimmerman, F.J. & Christakis, D.M (2007). Associations between Media Viewing and Language Development in Children Under Age 2 Years. The Journal of Pediatrics. Oct;151(4): 364-368.