La narration d’histoires personnelles et d’histoires de vie
Par Lyne Lafontaine, orthophoniste
Les enfants qui présentent des difficultés de langage et de communication manifestent souvent des difficultés à raconter une histoire oralement ou par écrit. Ils éprouvent par le fait même de la difficulté à raconter une histoire personnelle, ou, de façon plus large, à parler de leurs histoires de vie. Voici quelques pistes pouvant soutenir parents et intervenants dans ce type de narration qui sont inspirées d’un article écrit récemment par Westby (2016).
Soutenir le rappel d’histoires personnelles
En classe, on apprend généralement à l’élève à utiliser efficacement un schéma du récit, des marqueurs de relation (un jour, tout à coup, etc.) et des structures de phrases lorsqu’il raconte une histoire. Ces stratégies ont été amplement étudiées depuis des années. L’habileté à raconter une histoire personnelle a toutefois moins fait l’objet d’études, peut-être en raison de la difficulté de vérifier les faits racontés par les sujets. Ce type de narration peut aussi poser problème en classe puisque l’intervenant, n’étant pas au courant du contenu que l’enfant va raconter, risque de ne pouvoir l’aider suffisamment à préciser son message. Les parents, témoins privilégiés d’événements vécus par leur enfant, sont les mieux placés pour soutenir ce dernier lors d’un rappel de récit personnel et pour alimenter les intervenants en communiquant des informations à propos de cette narration.
La période des vacances constitue souvent une bonne occasion pour vivre en famille des expériences nouvelles, que ce soit à la maison ou à l’extérieur. Par exemple, certains voudront réaliser de nouvelles créations artistiques, culinaires ou scientifiques, organiser une sortie autour d’un thème (pique-nique, plage, compétition sportive, etc.) ou encore partir en voyage. Pour aider l’enfant à se remémorer une activité, le parent en profitera pour prendre des photos ou vidéos au cours de celle-ci qui serviront ensuite lorsque l’enfant la racontera. Le recours à des applications numériques peut s’avérer utile et motivant. Ainsi, l’application Pictello permet d’enregistrer la narration orale et écrite d’une expérience vécue en utilisant des photos et vidéos.
Exploiter la littérature en lien avec les histoires personnelles et les histoires de vie
Parents et intervenants peuvent également recourir à la littérature pour établir des liens avec les histoires personnelles des enfants et, de façon plus large, avec leurs histoires de vie. Ces dernières réfèrent à la capacité, pour une personne, à mettre en relation des histoires personnelles provenant de différentes époques de sa vie. Cette intégration des expériences passées avec celles du présent et celles envisagées dans le futur lui permettra de mieux s’autoréguler, planifier et résoudre des problèmes (Reese et al, 2011). On invite donc les parents et les intervenants à développer cette habileté lorsque l’enfant se montre capable de raconter des histoires personnelles isolées.
On recherche, dans ce contexte, des livres où l’on assistera à une transformation psychologique d’un personnage après un point tournant dans l’histoire. Ainsi, le livre Benjamin et la nuit (Bourgeois, 1986), destiné aux jeunes de maternelle et du premier cycle primaire, raconte l’histoire d’une tortue nommée Benjamin qui a peur de dormir dans sa carapace à cause du noir et qui apprend de quoi ses amis ont peur. À la fin, la tortue trouve une solution pour vaincre sa peur. On peut exploiter le récit en demandant à l’enfant de raconter ce qui lui a déjà fait peur et faire des liens avec le récit de Benjamin.
L’album Vieux Thomas et la petite fée (2e et 3e cycle du primaire), constitue un autre exemple d’histoire comportant un point tournant dans les traits de caractère du personnage principal. Vieux Thomas, un vieillard en colère contre le monde entier, trouve une fillette inanimée au bord de la plage et décide de la sauver. Le personnage se transforme peu à peu au contact de cette petite fée qui l’a aidé à trouver un sens à sa vie. Cette histoire traite de plusieurs thématiques, dont l’entraide, les étapes de la vie et la mort. On peut également aborder avec les enfants le changement qui peut se réaliser dans nos croyances au fil du temps (Avant, je croyais que… Depuis l’événement x, je pense maintenant que …).
Les enfants plus vieux (3e cycle, début secondaire) seront captivés par Le seul et unique Ivan (Applegate, 2012), qui raconte l’histoire du gorille Ivan vivant au jour le jour, sans aucune ambition et plutôt centré sur lui-même dans la ménagerie d’un centre commercial décrépi. Il se transforme cependant lorsqu’il doit prendre soin d’un éléphanteau nommé Ruby devenu orphelin à la suite du décès de sa mère Stella. Ivan devient plus responsable et change peu à peu ses valeurs afin que le petit Ruby ait accès à une meilleure vie. Cette touchante histoire traite de thèmes variés comme la solitude, l’amitié, et la réalisation de soi.
L’utilisation d’organisateurs graphiques s’avère utile pour aider les lecteurs à noter les transformations dans les valeurs ou traits de caractère du personnage (voir tableau 1).
La discussion avec les enfants sur les points tournants dans leurs vies les aidera à établir des liens et à les expliquer. Voici des questions qui peuvent les aider à réfléchir en ce sens (Calkins, 2006) :
Peux-tu me parler/m’écrire à propos :
– de la première ou dernière fois que tu as réalisé quelque chose de difficile;
– de la première fois que tu as réalisé quelque chose de nouveau que tu fais maintenant chaque jour;
– de la première ou dernière fois que tu étais avec une personne, un animal, dans un lieu, dans une activité;
– un moment où tu as réalisé quelque chose d’important à propos de toi-même ou d’une autre personne;
– un moment où tu as réalisé qu’un gros changement venait tout juste de se produire dans ta vie.
Un site Internet pour la recherche de livres
Pour trouver des livres adaptés au niveau de lecture et à l’âge des enfants, quoi de mieux que de consulter le site Livres ouverts https://www.livresouverts.qc.ca/index.php?p=rech, hébergé sur le site du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), qui renferme une mine de renseignements (voir tableau 2).
Sur ce site, on procède à une recherche de livres en ciblant le degré scolaire de l’enfant, le niveau de difficulté souhaité, la catégorie de livres (conte, album, récit, documentaire, etc.), pour ensuite consulter la liste des livres proposés. En cliquant sur l’un des titres, on a accès aux renseignements généraux ainsi qu’à un commentaire descriptif du livre.
Tableau 2. Le site Internet Livres ouverts permet une recherche de livres selon plusieurs critères.
En conclusion, il est important pour les parents de collaborer avec les intervenants pour soutenir les enfants lors de leur narration d’histoires personnelles et d’histoires de vie. Les questions, les supports visuels tels les applications technologiques et les organisateurs graphiques s’avèrent fort utiles. Le recours à la littérature jeunesse peut servir de déclencheur pour amener les enfants à traiter de sujets personnels comme des transformations survenues dans leurs croyances ou traits de caractère à la suite de points tournants dans leurs histoires personnelles.
Voici un autre article qui saura vous plaire :
Pour en savoir plus et mieux vous outiller :
Références
Applegate, K. (2015). Le seul et unique Ivan. Éd. du Seuil Jeunesse.
Bourgeois, P. (1990). Benjamin et la nuit, Éd. Scholastic Canada.
Calkins, L. (2006). Raising the quality of narrative writing, Portsmouth, NH, Éd. Heinemann.
Demers, D. (2008). Vieux Thomas et la petite fée, Éd. Dominique et compagnie.
Reese, E., Haden, C.A., Baker-Ward, L., Bauer, P., Fivush, R., et Ornstein, P. A. (2011). Coherence of personal narratives across the life span: A multidimensional model and coding method. Journal of cognition and development, 12, 424-462.
Westby, C. (2016). Promoting personal narrative, Word of Mouth, 27, 5, 12-15.
Lyne Lafontaine, orthophoniste
Clientèle : enfants 4-11 ans, difficultés en langage oral et écrit