La narration d’événements personnels à l’oral et à l’écrit
Par Lyne Lafontaine, orthophoniste
La majorité des conversations chez les enfants de cinq à onze ans porte sur la narration d’événements vécus (histoires personnelles) et non sur la narration d’histoires imaginaires. Chaque histoire doit contenir des informations pertinentes et suffisantes et doit être jugée assez intéressante par le locuteur pour être partagée. Il est donc important, comme parent ou enseignant, d’aider les enfants à bien raconter leurs histoires personnelles oralement ou par écrit. Ce type de narration, fréquemment utilisé, contribuera également au développement de leurs interactions sociales.
Westby et Martinez (2017) proposent d’évaluer ce type de narration sous six aspects avec un système de pointage (voir tableau 1):
- Cohérence temporelle : respect de l’ordre des actions dans l’histoire avec les bons marqueurs temporels (en premier, ensuite, le lendemain…).
- Cohérence causale (liens de causalité) : les marqueurs expliquant les liens de causalité doivent être explicites (ex. : J’ai marché jusqu’à l’école parce que j’ai raté l’autobus.)
Précurseurs à la cohérence thématique :
- Référents /cohésion: présentation claire des personnes et d’autres éléments importants de l’histoire. Demande de s’adapter aux besoins de l’interlocuteur.
- Informativité: information vraie, suffisante et pertinente.
- Maintien du sujet: sujet suffisamment développé. Le score maximal correspond à une narration avec des liens de causalité et une interprétation, par le locuteur, des expériences qu’il a vécues.
- Analyse en sommets(selon Labov et Waletzky dans Kern, 1997): une histoire cohérente évolue vers un climax (ou sommet) suivi d’une résolution. Elle contient :
– un résumé (introduction du récit, bref résumé);
– une orientation (qui, où, quand);
– une complication et une résolution : le cœur du récit;
– une fin du récit;
– une évaluation consistant à faire le point sur le récit : quel est l’intérêt de cette histoire? Que faut-il penser des personnes impliquées ou des circonstances?
Tableau 1. Évaluation de la narration d’événements personnels
Cohérence
temporelle |
Cohérence causale | Précurseurs à la cohérence thématique | ||||
Points | Séquence d’événements | Liens de causalité | Référents | Informativité | Maintien du sujet | Analyse en sommets |
0 | Liste d’actions, sans respect de la chronologie | Pas de liens de causalité | Pas de référents clairs (lieu, personnes, événements) | Faits incomplets en lien avec l’événement raconté | Généralement hors sujet | 1 événement |
1 | Moins que la moitié des actions sont dans le bon ordre (avec marqueurs temporels) | Liens implicites ou pas très clairs pour l’auditeur. | Présence de quelques référents clairs et d’autres moins précis. | Faits limités en lien avec l’événement raconté | Sujet identifiable; Liens de causalité implicites ou ambigus. | 2 événements |
2 | 50-75% des actions dans le bon ordre (avec marqueurs temporels) | 1-2 liens de causalité clairs | Référents clairs | Mélange de faits importants et de faits non pertinents | Sujet identifiable; 1-2 liens de causalité explicites et clairs OU expression de sentiments | 2 événements ou plus
Manque de clarté ou pas de respect de la chronologie |
3 | 75% + des actions dans le bon ordre (avec marqueurs temporels) | Au moins 3 liens de causalité clairs et explicites ; il peut y avoir des liens moins clairs. | Référents clairs et élaboration avec détails | Faits importants qui sont tous ou presque tous pertinents. | 3 événements ou plus
Séquence temporelle des événements |
|
4 | Au moins 3 liens de causalité; tous les liens sont clairs. | Faits importants et pertinents avec détails suffisants | Liens de causalité et interprétations avec un raisonnement en lien avec ses expériences de vie | La fin correspond à un climax (ex. : explique comment tout s’est terminé…) | ||
5 | Faits pertinents, détails et évaluation de l’événement | Classique; inclut la résolution (lien avec l’identité personnelle, des expériences personnelles passées ou futures) et l’évaluation |
Voici un exemple d’histoire personnelle écrite par une fille de 10 ans qui sera ensuite analysé avec la grille de Westby et Martinez. Les mots soulignés réfèrent à la cohérence temporelle; ceux en italique, aux liens de causalité; ceux en gras, aux précurseurs à la cohérence thématique.
Quand c’était le festival de S.D., moi et ma famille on est allés. Il y avait des manèges et moi et mon papa on est allés dans le Zipper et on a attendu jusqu’à ce que notre tour arrive. Quand on s’est approché, j’ai eu un peu peur puis on est embarqué puis ça a commencé puis je criais puis mon père bougeait la cage où on était, je tombais de la cage et j’ai commencé à pleurer. Quand mon père m’a vue, il m’a attrapée puis le manège s’est arrêté. Puis j’étais OK jusqu’au moment où je suis débarquée, mais j’avais mal au cœur. Olivia et Haliey étaient sur un manège pis je m’ennuyais. On a fini les tours de manège, alors on est allé chercher de la nourriture et on est parti à la maison.
Voici les scores de l’enfant :
Cohérence temporelle | Cohérence causale | Précurseurs à la cohérence thématique | |||
Séquence d’événements | Liens de causalité | Référents | Informativité | Maintien du sujet | Analyse en sommets |
3 | 1 | 1 | 2 | 2 | 4 |
L’enfant a obtenu 3 points pour la cohérence temporelle parce que 75% et plus des éléments étaient dans la bonne séquence avec les bons marqueurs de temps (puis). Elle a reçu 1 point pour la cohérence causale par ce qu’elle n’utilise pas explicitement de termes linguistiques pour coder les liens de causalité. L’emploi du puis est plutôt un marqueur temporel. Le lecteur peut déduire les liens de causalité dans l’histoire, mais l’enfant ne les a pas exprimés explicitement. Elle a obtenu 1 point pour les référents parce qu’elle a bien identifié son père et elle-même dans le récit, mais n’a pas présenté Olivia et Haliey. Elle a reçu 2 pour l’informativité parce qu’elle a mentionné des faits essentiels de son récit, mais n’a pas fourni de détails ni d’évaluation à propos de cet événement.
Elle a finalement obtenu 4 points pour l’analyse en sommets parce que son histoire s’est terminée par un climax (elle se sent malade). Elle n’a toutefois pas fourni de résolution explicite ni d’évaluation. Elle a changé de sujet pour parler d’Olivia et de Haliey.
Les résultats cette évaluation nous permettent de fixer des objectifs d’intervention pour améliorer cette production au cours du processus de révision ainsi que les prochaines productions orales ou écrites. Ainsi, par des commentaires ou questions, on pourrait d’abord amener l’enfant à produire explicitement des liens de causalité et à présenter davantage les personnes impliquées dans son histoire.
En résumé…
Les histoires personnelles sont très fréquentes chez les enfants entre cinq et onze ans. Elles le sont beaucoup plus que les histoires imaginaires. Un nouvel outil a été développé pour évaluer puis soutenir les enfants sur ce plan, tant à l’oral qu’à l’écrit.
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Références
- Kern, S. (1997). Comment les enfants jonglent avec les contraintes communicationnelles, discursives et linguistiques dans la production d’une narration. Linguistique. Université Lumière- Lyon II. ˂tel.archives-ouvertes.fr˃ consulté le 19 avril 2017.
- Westby, C. et E. Martinez (2017). Assessing personal event narratives. Word of Mouth, 28 (4), p. 13-16.