Comportements tangibles de l’enfant dyslexique
Par Nicole Carty, orthophoniste
Plusieurs acteurs dans le milieu éducatif sont encore réticents à croire que la dyslexie existe vraiment. Étant donné que les aspects neurologiques mis en cause ne sont pas visibles pour le commun des mortels, les adultes concernés tendent à impliquer le comportement (visible) de l’enfant comme cause à ses difficultés de lecture/orthographe. Ce serait tellement pratique : une bosse tangible sur la tête de chaque enfant dyslexique pourrait aisément être associée aux erreurs de lecture/orthographe qu’elle causerait…!
À défaut d’une bosse sur la tête, les comportements de l’enfant dyslexique sont, eux, très visibles, surtout pour les parents, au moment des devoirs : procrastination, bougeotte, refus de collaborer, pleures, colères, abandon, insolence, etc. Pire encore, les erreurs d’orthographe commises semblent si évidentes pour l’adulte normolecteur qu’il a tendance à croire : « si seulement il faisait un peu plus attention …. ». Et, l’écriture gribouillée, irrégulière, rayée semble refléter « un manque d’efforts pour soigner le travail… »
Mieux interpréter les comportements de l’enfant dyslexique
La procrastination devrait être interprétée comme un comportement d’évitement d’une difficulté qui paraît insurmontable. En conséquence, plus l’enfant évite, plus il indique qu’il a besoin d’un soutien adapté.
Les erreurs d’orthographe seraient, en réalité, les symptômes tangibles d’un dysfonctionnement dans les mécanismes cognitifs complexes impliqués dans la lecture/orthographe.
Et, la « mauvaise écriture » pourrait témoigner d’efforts importants méritant, en parallèle, le développement de moyens d’écriture autres, tel que l’ordinateur.
Les preuves neurologiques existent
Afin de s’assurer que les acteurs, dans le milieu scolaire, prennent au sérieux ce trouble de la lecture/orthographe, les définitions courantes insistent sur les aspects « durables » ou « permanents ». Présentement, grâce à l’imagerie cérébrale, nous pouvons affirmer qu’il n’y a plus aucun doute sur l’origine neurologique de la dyslexie (Habib, 2000) : la dyslexie existe vraiment!
En effet, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a permis de déterminer une activation différente des régions cérébrales impliquées dans la lecture, chez les personnes dyslexiques comparativement aux personnes bons lecteurs. Entre autres, les personnes dyslexiques activent davantage leur cerveau droit que les bons lecteurs (Temple, et al. 2003).
Compenser la dyslexie : c’est possible
Malheureusement, le concept de « permanence » du trouble a tellement été exploité, que les concepts de « compensation » et de « plasticité cérébrale » sont définitivement méconnus.
Dans la définition révisée de l’Association Internationale de la Dyslexie, on relève que « même si la dyslexie est une condition durable, les individus dyslexiques répondent de manière positive à une intervention adaptée et bien ciblée ».
Au Forum mondial sur la dyslexie, à l’UNESCO (2010), le résumé des conclusions fait état de problèmes graves dans la poursuite des études « si elle (la dyslexie) n’est pas traitée de manière appropriée ». http://www.dyslexia-international.org/WDF/Files/FR_RAPPORT.pdf
Dans une étude menée par Just (2008), à l’université de Carnegie Mellon, les chercheurs ont déterminé que les connexions neuronales peuvent être réorganisées afin d’éliminer les déficits en lecture, à partir du moment où les individus reçoivent une rééducation appropriée.
Ainsi, selon Tardif et Doudin (2016), il importe de retenir que les fonctions cérébrales des enfants avec et sans problèmes d’apprentissage sont malléables. Les programmes d’intervention individuelle, en orthophonie, par exemple, et les programmes scolaires peuvent être adaptés afin de compenser les mécanismes en lecture et modifier l’organisation fonctionnelle du cerveau (Tardif & Doudin, 2016).
Comment compenser la dyslexie
La question n’est pas de savoir si on peut compenser la dyslexie, mais comment ?
Richards & Berninger (2007) relèvent une normalisation dans les connexions neuronales des sujets ayant subi un entrainement intensif axé sur les correspondances entre les lettres et les sons.
Temple et al. (2003) ont noté les capacités de compensation des déficits chez les personnes dyslexiques à partir d’un programme de traitement ciblé sur les processus phonologiques. Dans cette étude, les IRM ont démontré une normalisation de l’activation des régions impliquées dans la lecture, ainsi que l’activation d’autres régions cérébrales à titre de mécanismes de compensation.
À cet égard, notons que, dans le forum mondial sur la dyslexie, à l’UNESCO (2010), le Professeur Heinz Wimmer, de l’Université de Salzbourg, en Autriche précise que ce n’est pas qu’une question d’analyse phonologique déficiente, mais de rapidité de conversation de la vision en phonologie.
Par ailleurs, dans le forum mondial sur la dyslexie, à l’UNESCO (2010), les chercheurs s’accordent à dire que la dyslexie « n’est pas simplement une question de lecture, d’orthographe ou d’écriture ». En effet, l’individu dyslexique a des problèmes « d’organisation, de traitement, de compétences motrices et de mémoire de travail ». L’intervention doit donc viser à ce que « l’élève apprenne à apprendre » (Rapport du Forum mondial, p.13).
Selon Tardif & Doudin (2016), les programmes d’intervention doivent permettre le développement de processus cognitifs plus efficaces qui compenseront les déficits.
Temple et al. (2003) soulignent également l’impact du milieu dans lequel l’individu évolue pour déterminer, au moins en partie, sa capacité de normalisation, et l’aptitude de son cerveau à recruter d’autres régions pour compenser les déficits.
En somme, l’apprentissage et l’expérience peuvent induire des modifications des fonctions cérébrales : c’est la plasticité cérébrale.
Dyslexie réelle, espoir tangible
Enfin, il est important de savoir que les étudiants dyslexiques peuvent compléter des études supérieures (Shaywitz, 2005). Souvent, ils bénéficient d’accommodations pédagogiques afin d’y parvenir.
Les accommodations pédagogiques peuvent inclure les mesures suivantes :
· Du temps supplémentaire aux évaluations;
· L’accès aux manuels en version audio;
· L’accès à un ordinateur portable, à des logiciels spécialisés de correction orthographique et de prédiction de mots, ainsi que le temps et l’aide nécessaire pour maîtriser ces outils technologiques de manière efficace;
Dans tous les cas, Shaywitz (2005) précise qu’il est possible, pour n’importe qui, de dépasser les difficultés en lecture, en particulier avec un travail acharné, et une aide adaptée, inspirée des recherches sur le fonctionnement du cerveau, et les techniques d’intervention fondées sur les données probantes.
Voici un autre article qui saura vous plaire :
Pour en savoir plus et mieux vous outiller :
Références :
- Habib M.. (2000). The neurological basis of developmental dyslexia : An overview and working hypothesis. Brain, 123 : 2373-2399.
- Rapport du Forum mondial sur la dyslexie, du 3 au 5 février 2010, à l’UNESCO, Paris, p.13. Web : http://www.dyslexia-international.org/WDF/Files/FR_RAPPORT.pdf
- Shaywitz, S. (2005). Overcoming Dyslexia. Vintage.
- Tardif, E. & Doudin, P.-A. (2016). Neurosciences et cognition : Perspectives pour les sciences de l’éducation. De Boeck Supérieur.
- Temple E, Deutsch GK, Poldrack RA, Miller SL, Tallal P, et al. (2003). Neural deficits in children with dyslexia ameliorated by behavioural remediation: Evidence from functional MRI. Proceedings of the National Academy of Sciences 2003, 100: 2860-2865.
- University of Waterloo. « Picture books aren’t just fun: Children learn sophisticated animal facts when parents read them. » ScienceDaily. ScienceDaily, 23 April 2014. <www.sciencedaily.com/releases/2014/04/140423101852.htm>.
- University of Iowa. « Why Do Children Experience A Vocabulary Explosion At 18 Months Of Age?. » ScienceDaily. ScienceDaily, 3 August 2007. <www.sciencedaily.com/releases/2007/08/070802182054.htm>.
- Carnegie Mellon University. « Remedial Instruction Rewires Dyslexic Brains, Provides Lasting Results, Study Shows. » ScienceDaily. ScienceDaily, 7 August 2008. <www.sciencedaily.com/releases/2008/08/080805124056.htm>.
- University of Washington. « Overcoming Dyslexia: Timing Of ‘Connections’ In Brain Is Key. » ScienceDaily. ScienceDaily, 5 September 2007. <www.sciencedaily.com/releases/2007/09/070904142922.htm>.