La lecture à voix haute
Par Nicole Carty orthophoniste
1. Avant l’entrée à l’école
2. Activités et stratégies pour l’apprenti lecteur
a. Lire pour lui
b. Lire de vraies histoires
c. Lui souffler la réponse
d. Ne pas l’interrompre
3. Le temps de lire
4. Plus un enfant résiste, plus il faut lui lire
1. Avant l’entrée à l’école
En vérité, l’apprentissage de la lecture se fait bien avant l’entrée à l’école : il s’agit de baigner l’enfant dans ce langage formel écrit dans les contextes de lecture à voix haute. Le langage écrit est un format de langage différent du langage oral. Le langage écrit est nettement plus complexe et riche que le langage oral qui reste plus simple à comprendre. Et, plus l’enfant est habitué au format de langage écrit, plus cela lui sera d’une aide précieuse lorsque c’est à lui de décoder des phrases… La prédiction des suites de mots dans la phrase sera d’autant plus logique et naturelle. Les enfants n’apprennent pas à parler à moins d’être baignés dans un environnement riche de langage humain. Même chose pour l’écrit : ils n’apprennent pas à lire ou écrire à moins d’être baignés dans un environnement qui les expose à l’écrit.
Et, à force de lire à voix haute à nos enfants, ils en arrivent à faire semblant de lire, ce qui constitue une étape importante dans leur processus d’apprenti lecteur. En s’exerçant avec les phrases d’un livre familier, l’enfant en vient à explorer, de lui-même, ce qui est effectivement écrit. Il en vient, petit à petit, à décrypter le code écrit, à faire les correspondances entre les lettres et les sons, à déchiffrer les patrons orthographiques tels que « tion », « ille », etc. en contexte de mots qu’il a entendus, bien des fois, avec le même support écrit. Il s’habitue à la structure d’un livre, la table des matières, les titres en gras, les phrases en italiques, etc.
Puis, se déplacer à la bibliothèque, s’orienter dans les différentes sections de la bibliothèque, rechercher parmi les différentes collections de livres un livre qui nous plairait, lire la présentation des livres, reconnaître le nom d’un auteur, d’un illustrateur ou d’une collection, constitue déjà des actes prolittéraires.
Sans oublier que les enfants apprennent à lire en jouant à écrire et orthographier les mots : c’est ce qu’on appelle l’orthographe inventée.
Enfin, la lecture à voix haute est un antidote contre le dégoût de la lecture : l’attitude positive d’un enfant qui est habitué à recevoir des histoires est déjà un atout qui l’aide à s’atteler aux techniques plus ardues de la lecture (Mem Fox, 2001).
2. Activités et stratégies pour l’apprenti lecteur
a. Lire pour lui
Il est plus complexe de lire à voix haute que de lire dans sa tête. Or, nous exigeons systématiquement des mauvais lecteurs qu’ils lisent à voix haute. En réalité, l’enfant qui peine à lire à voix haute, à un rythme ralenti, sans aucune fluidité, ne peut pas se servir de sa mémoire pour exploiter les informations fournies dans le texte, afin de s’aider dans la compréhension du texte. Devant de telles difficultés, l’adulte ferait mieux de prendre le livre et de le lire à voix haute pour que l’enfant puisse simplement suivre des yeux le texte écrit. Les enfants « auraient besoin d’entendre mille histoires avant qu’ils apprennent à lire » (p. 17, Mem Fox, 2001).
https://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL18/AL18P14.pdf
b. Lire de vraies histoires
Selon certaines pratiques, on fait lire à l’enfant des listes de mots, sans liens, les uns avec les autres. Or, c’est beaucoup plus difficile de lire des listes de mots que de lire ces mêmes mots insérés dans des phrases porteuses de sens. Et, c’est loin d’être passionnant.
Aussi, nos livres de « méthodes de lecture » sont souvent inertes. Les histoires sont plates. Il s’agit purement d’exercices d’entraînement à l’exactitude de la lecture. Mais, ce n’est pas ça, lire! Lire, c’est comprendre et c’est être tellement transporté par le contenu qu’on perd la notion du temps (Pennac, 1995).
Il s’agit donc, absolument, de choisir des livres avec du beau vocabulaire et de belles phrases pertinentes pour relayer un contenu passionnant. C’est de cette manière qu’on s’assurera que l’intérêt de lire dépasse la difficulté de la technique.
c. Lui souffler la réponse
Dans la vraie vie, personne ne passe son temps à décoder les mots : le décodage est plutôt rare et uniquement exploité dans le cas de mots qui nous sont peu familiers. En réalité, nous lisons grâce à nos prédictions basées sur le sens d’une phrase ou d’un paragraphe (Mem Fox, 2001). Et, plus on lit rapidement, plus on est capable de retenir les informations en mémoire. En revanche, si on « fait les sons » on ralentit automatiquement notre vitesse de lecture. Et, si on doit « faire les sons », sur plusieurs mots, dans un même paragraphe, notre mémoire risque d’être tellement aux prises avec la technique de décodage qu’elle ne pourra nous servir ni pour la compréhension ni pour la prédiction du texte.
Maintenant, imaginons qu’on laisse l’enfant tenter de décoder la plupart des mots dans un texte, pour « l’entraîner » à la lecture : il risque, très rapidement, de s’épuiser à la tâche, et, surtout, il ne pourra pas s’appuyer sur sa compréhension de phrases pour s’aider au décodage. Lui souffler la réponse serait donc une bonne façon de s’assurer que le sens du texte prime sur la forme du texte. Et, de cette manière l’enfant pourra s’appuyer sur sa compréhension de phrases, et sa capacité à prédire la suite de mots dans la phrase, pour décoder plus efficacement les mots du texte. L’acte de lire devient alors une expérience agréable et réussie dans une relation complice définie par un adulte accompagnateur et un enfant apprenti lecteur.
d. Ne pas l’interrompre
Si un enfant se trompe, en lisant, mais que son erreur ne nuit pas au sens du texte, on peut, selon le cas, le laisser poursuivre sans l’interrompre. En effet, si l’expérience permet l’entraînement, il y a de fortes chances qu’il corrige, de lui-même, ce type d’erreur, dans les mois à venir. En revanche, l’arrêter, pour une petite erreur qui n’a pas de conséquence sur le sens du texte, n’a aucun sens : cela risque de le frustrer, voire de le démotiver.
Et, si on est trop rapides à le corriger, on ne lui laisse aucune chance de, peut-être, nous surprendre avec sa propre autocorrection, preuve de processus de lecture qui sont en train de se mettre en place. Or, s’il se corrige tout seul, on aura le plaisir de le féliciter de son autocorrection, ce qui l’encouragera à prêter davantage attention aux détails de sa lecture.
L’accent devrait donc toujours être mis sur le sens du texte. L’exactitude viendra avec l’entrainement et l’entraînement n’aura lieu que si la motivation est maintenue.
Enfin, si vraiment l’erreur nous achale trop, on peut toujours revenir sur la phrase toute entière (= accent sur le sens de la phrase), en précisant « moi, je lis X » pour donner le modèle d’une lecture exacte de la partie du mot, ou du mot, qui était mal lu ou omis.
3. Le temps de lire
Si les devoirs sont de trop, et qu’ils nous privent de temps de lecture à voix haute, alors il faudra être créatif pour les faire plus rapidement. Sachant que l’enfant n’apprend pas en trimant mais en réfléchissant, nous pouvons adapter le processus des devoirs :
1. Lire les textes/questions/consignes, à la place de l’enfant, peut accélérer le travail et lui donner un modèle de lecteur fluide et compétent;
2. Négocier avec lui le sens de la question, le sens des mots, l’adéquation de sa réponse, la formulation de sa réponse sont des opportunités riches pour développer les compétences de notre enfant, à plusieurs niveaux : en matière de connaissance (on ne peut discuter de la matière qu’à partir du moment où on la maîtrise, un minimum) et en matière de composition (une chose est d’avoir une idée, l’autre est de l’exprimer clairement);
3. Écrire en parallèle à l’enfant nous permet de ralentir notre processus de réflexion, de verbaliser à voix haute nos décisions orthographiques et grammaticales, et d’offrir un tremplin visuel sur lequel notre enfant peut rebondir.
Enfin, dans le cas des lectures obligatoires de l’école, si le parent lit à voix haute le livre, l’enfant est exposé au langage écrit et la lecture du livre avance. En plus, si le parent prend le temps de discuter du contenu, de réagir au texte, de justifier ses opinions par le texte, ou ses connaissances générales, la conversation autour du livre devient un atelier complet de langage.
4. Plus un enfant résiste, plus il faut lui lire
Nous sommes nombreux à nous rappeler que nos parents nous imploraient de lire, ou bien ils se plaignaient qu’on ne lisait pas, ou pas assez. Aujourd’hui, on sait que si un jeune ne lit pas de lui-même, c’est à nous, les parents, de prendre les livres et de les lire pour lui. Plus un enfant résiste à lire, plus il s’agit de lire pour lui. Selon Mem Fox (2001), « si on lisait trois histoires par jour, à nos enfants, on pourrait éradiquer l’illettrisme en une seule génération » (p. 12).
Ainsi, les enfants en mal de lecture bénéficieraient de se faire lire souvent, très souvent. En fait, un enfant qui n’aime pas lire n’a tout simplement pas trouvé un livre qui l’enchante assez pour l’emporter sur la tache technique de décoder (Pennac, 1995). Mais, la lecture à voix haute permet de raccrocher les enfants à la lecture, pour ceux qui avaient décroché par dégout (Mem Fox, 2001).
Voici un autre article qui saura vous plaire :
Pour en savoir plus et mieux vous outiller :
Références :
- Fox, M. (2001). Reading Magic : Why reading aloud to our children will change their lives forever. Harcourt.
- Pennac, D. (1995). Comme un Roman. Gallimard.
- http://developpement.ccdmd.qc.ca/fiche/apprentissage-de-la-lecture-chez-les-enfants-de-4-7-ans